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1.5.23

Ding Liren champion du monde d'échecs au bout d'un match à suspens.

Dimanche 30 avril 2023 à Astana au Kazakhstan. Le règne de 9 ans et demi de Magnus Carlsen prend fin. Celui du Chinois Ding Liren commence. A l'issue d'un match haletant et tendu, il devient le premier joueur chinois à remporter le titre masculin (ou mixte). Quant à Ian Nepomniachtchi, c'est une nouvelle déception.



Le déroulement du match, partie par partie.

Les deux joueurs s'affrontent sur 14 parties à cadence classique : 40 coups à jouer en 2 heures chacun, plus une heure est ajoutée pour les 20 coups suivants et enfin 15 minutes sont crédités ainsi que 30 secondes par coup à partir du 61ème coup.

Je l'ai déjà écrit (et je le redirai), cette cadence est hors du temps. De plus, avec la profondeur des préparations, les joueurs ne commencent à réfléchir souvent qu'après le 15-20ème coup. Il faut supprimer le contrôle du temps au 40è coup et ce serait déjà une avancée majeure.

Il faudrait aussi faire autre chose. Souvent les deux joueurs étaient absents de l'échiquier, y compris quand c'était leur tour de jouer. Une image de joueurs fantômes qui réfléchissent dans leur salle de repos n'est pas très bonne pour un sport qui n'est pas télégénique par définition. Il faut supprimer l'écran de la partie dans les salles de repos ; c'est simple mais encore faut-il le vouloir.


1ère partie.


Nepomniachtchi a les Blancs pour les parties impaires. Il joue 1.e4. La partie espagnole apparaît et le Russe y est très bien préparé. Il propose même une variante secondaire, sans grande ambition apparente, mais il prend un léger avantage. Ding défend bien et la promesse que les Blancs semblait détenir se transforme en position égale. La nulle est conclue au 49è coup. 0,5-0,5.

2ème partie.

Ding a les Blancs. Et dès le 4è coup, le Chinois sort de la grande théorie dans un gambit dame (4.h3).  Cela ne semble pas changer grand-chose à l'évaluation de la position. Ding pensait aimer sa position en échangeant les cavaliers au 12è coup mais Nepo le surprend en reprenant avec le pion g7. Et là, le Chinois perd pied. Les Noirs ont égalisé au minimum. Ding cherche à prendre le dessus mais il commet une faute au 17è coup. Nepo sacrifie la qualité pour détruire le centre blanc et il gagne même un deuxième pion. En grand zeitnot, Ding ne résiste pas longtemps. Sa première partie est une catastrophe : il abandonne au 29è coup. Nepomniachtchi mène 1,5 à 0,5.

3ème partie.

Nepo commence par 1.d4 et nous entrons dans la variante d'échange du gambit dame. Ding connaît bien et Nepo ne semble pas trop aimer sa position qui paraît pourtant prometteuse. Il hésite avec ses cavaliers. La poussée c5 au 17è coup est très bonne pour Ding qui force l'égalité. Comme les joueurs ne peuvent proposer nulle avant le 40è coup, ils concluent la nulle par une répétition des coups au 30è. Nepo mène 2-1.

4ème partie.

Ding change lui aussi de premier coup : place à l'Anglaise avec 1.c4. On entre dans la Sicilienne en premier où Ding joue une variante apparemment peu ambitieuse mais qu ia été jouée par le secondant du Chinois, le Hongrois Richard Rapport, candidat en 2022 comme les deux finalistes. Nepo est préparé et les deux joueurs manquent de précision dans leurs coups. Ding sacrifie alors un pion pour mobiliser ses pions centraux et étouffer le Russe. Celui-ci défend bien dans un premier temps mais il joue vite, comme à son habitude, et même trop vite dans des positions qu'il valait mieux étudier plus longtemps. Il laisse Ding sacrifier la qualité au 29è coup : son cavalier, avec les pions centraux, domine les tours noires. Les Blancs sont gagnants. Nepo abandonne au 47è coup et Ding égalise à 2-2.

5ème partie.

Si on compare ce match avec les 3 précédents, on constate qu'après 4 parties, il y a eu deux victoires là où il n'avait eu aucun gain dans les autres. Avec les Blancs, Nepo revient à 1.e4 et on est encore dans une partie espagnole. Le jeu est complexe, le placement des pièces y est crucial et les Blancs semblent n'avoir qu'un avantage minimal. Nepo trouve cependant une idée intéressante : jouer sur les cases blanches. Il mène un plan global visant à jouer sur cette couleur de cases, loin du seul fou noir qui opère sur cases noires. Ding est pressé et commet des imprécisions qui augmentent l'avantage blanc. En zeitnot, il découvre que Nepo attaque désormais à l'aile-roi et il n'est pas capable de parer l'offensive. On transpose dans une finale gagnante pour les Blancs. Ding abandonne après le 48è coup blanc et Nepomniachtchi reprend l'avantage : 3-2.

6ème partie.


Longtemps considéré comme un début de joueurs amateurs, le début de Londres a gagné en crédibilité au plus haut niveau : les joueurs cherchent à sortir des grandes lignes théoriques. Ding l'emploie contre Nepo. A priori pas grand-chose mais le Russe est négligent : il concède des avantages positionnels. Ding joue sur tout l'échiquier pour dominer les Noirs. Nepo réagit au centre et semble proche de s'en sortir mais il jouer encore trop vite et rate une solution tactique. Le Chinois reprend alors la main et construit une attaque contre le roi noir qu'il finit élégamment. Au 44è coup, Nepo arrête la pendule et serre la main de son adversaire. Ding égalise à 3-3.

7ème partie.


Une telle séquence de parties décisives (4 en 6 parties) ne s'était plus vue depuis le match Karpov-Kortchnoi en 1981 (Karpov avait gagné les parties 1,2 et 4, Kortchnoi la 6è). Nepo rejoue 1.e4 et Ding le surprend avec 1...e6 et la défense française. On n'a plus vu cette ouverture depuis 1978 et Kortchnoi qui l'a jouée contre Karpov. Les deux joueurs jouent une variante secondaire mais intéressante. Nepomniachtchi vise le roi noir avec ses pièces et Ding défend précisément. La partie devient tendue : il est clair que les deux joueurs jouent pour le gain. Face aux menaces blanches, Ding sacrifie la qualité pour d'excellentes compensations. La partie est compliquée mais le Chinois bloque : alors qu'il est en sérieux zeitnot, il reste paralysé et ne joue pas. Il expliqua qu'après le coup 31...h4, il n'avait pas considéré sérieusement la reprise g3xh4. Et il craque : une gaffe au 33è coup perd un pion et son attaque disparaît. C'est fini, Nepo l'emporte au 37è coup et reprend l'avantage 4-3.

8ème partie.


Match fou, match de nerfs mais où les deux joueurs montrent des fragilités. Le débat sur la qualité du match enflamme les échanges entre les grand-maîtres. La défense Nimzo-indienne apparaît dans la 8ème partie. Ding joue une variante secondaire et tranchante. Il sacrifie une pièce au 12ème coup. Nepo la rend de suite pour éviter le mat mais les Blancs ont une position dominante, écrasante même. Le Russe joue sur un fil pour éviter la défaite : il se trompe au 22ème coup. Toutefois, Ding ne trouve pas la solution la plus rapide pour gagner. Nepo y va au bluff et Ding craque : il se laisse piéger par une ressource inattendue. Les Noirs sacrifient une pièce mais leurs pions sont si dangereux que Ding se résout à la nulle au 45ème coup. Après 4 parties décidées de suite, une nulle est conclue et Nepo mène 4,5-3,5. On apprend pendant la partie que Ding et Rapport auraient joué cette ouverture dans un blitz en ligne, sur le site lichess.org.

9ème partie.

Encore une partie espagnole. Ding souffre avec les Noirs (2 défaites en 4 parties) et il joue pour la nulle. Il semble bien préparé mais il doit subir la pression de Nepo après qu'il ait commis une ou deux légères imprécisions. Cependant, le Russe ne sait pas saisir les moments où il faut réfléchir plutôt que d'envoyer un coup et se précipiter dans la salle de repos. Il aurait pu jouer plus efficacement. Ding défend bien : il donne un pion mais il entre dans une finale de cavaliers nulle. Malgré des efforts du Russe, la nulle est signée au 82ème coup. L'avantage reste à Nepomniachtchi : 5-4.

10ème partie.


Une ouverture anglaise comme dans la 4ème partie. Ding change de variante mais Nepo est toujours bien préparé. Les Blancs ont une pression qui paraît gênante mais le Russe trouve un moyen d'équilibrer les chances en donnant un pion. Ding essaie de gagner, Nepo joue bien techniquement. Il donne même un deuxième pion pour entrer dans une finale de tours théoriquement nulle. Au 45ème coup, la nulle est conclue. Nepo est toujours devant (5,5-4,5).

11ème partie.

C'est reparti pour une ouverture espagnole. Les Blancs en sortent avec une pression qui peut être dérangeante, bien que les Noirs restent solides. Au 19ème coup, Nepo décide de ne pas prendre de risque et la partie transpose dans une finale égale où il ne se passe rien. Au 39ème coup, la position est répétée trois fois et c'est nulle. Toujours un point d'avance pour le vice-champion du monde sortant (6-5).

12ème partie.

La plus dramatique et la plus mauvaise du match. Avec les Blancs, Ding joue un début modeste (le début Colle). Mais Nepo réagit curieusement : un fou arrive sans raison en d7 puis va en g4 deux coups plus tard. Ding ne prend pas les mesures les plus énergiques pour sanctionner les hésitations de son adversaire. Au contraire, c'est Ian Nepomniachtchi qui déstabilise les Blancs en acceptant l'affaiblissement de son roque pour ouvrir la colonne 'g'. Et là, la partie prend une tournure curieuse et compliquée. Ding ne semble pas savoir quoi faire : son 19ème coup (Fc2) ne sert à rien et Nepo prend un avantage qui s'accroît, même en donnant une qualité qui s'avère imprenable. Au 24è coup, Ding tente la percée désespérée à l'aile-dame. Nepo est gagnant mais il est négligent. Et les deux joueurs enchaînent une séquence de mauvais coups : les nerfs lâchent. Les Blancs ratent plusieurs fois l'égalité et les Noirs un avantage décisif. Ding réussit à trouver du contre-jeu jusqu'au terrible 34.f7-f5 des Noirs, réfuté par Txe6. Nepo s'écroule, presque en larmes. Encore une fois, il a joué trop vite et finit par abandonner au 38ème coup. Ding égalise à 6-6.

13ème partie.

Depuis 2020, le mot résilience est entré dans le vocabulaire commun/courant/poncif. Mais reconnaissons que les deux joueurs en font preuve : ils arrivent à surmonter des défaites cruelles. Pour cette 13ème partie, Nepo joue encore l'Espagnole ; il veut forcer les choses et joue pour le gain. Sauf que sa position n'est pas si bonne que cela. Des coups douteux sans lien donnent un avantage aux Noirs. S'il gagne, Ding peut quasiment plier le match. Mais après 25 minutes de réflexion, le Chinois joue un coup (Te5) qui n'est pas le plus naturel et il continue par des coups moins bons. Nepo ne montre pas qu'il est fragile et joue toujours aussi vite. Ding sacrifie la qualité pour maintenir son jeu. Malgré tout, l'équilibre est maintenu et la nulle conclut la partie au 39ème coup. 6,5-6,5.

14ème partie.

Dans l'histoire des championnats du monde, à une seule reprise la dernière partie d'un match en nombre de parties limité a été gagnée alors que le score était égal : c'était en 2010 quand Anand battit Topalov, qui avait tout fait pour éviter les parties rapides. Etant donné le niveau de stress montré par les deux joueurs, on pensait qu'ils iraient plus tranquillement en prolongation. Mais on. Ding joue pour le gain : le Chinois est un combatif dans la défense Nimzo-indienne des Noirs mais Nepo a égalisé. Puis il enchaîne avec 12.Cg5 et 13.h4 pour sacrifier une pièce pour l'attaque. Les Noirs réagissent bien et forcent les Blancs à battre en retraite et à défendre. Pourtant, Ding refuse de se résoudre à une nulle tranquille et cela aurait pu lui coûter très cher. Au 34ème coup, Ding joue son roi sur la mauvaise case (Re2 au lieu de Rd2) et l'informatique donne un avantage presque gagnant aux Noirs. Mais Nepo se trompe 2 coups plus tard (encore trop vite joué). Ding arrive dans une finale de tours avec un pion de moins mais une affaire pas trop compliquée à défendre. Le Russe insiste jusqu'au 90ème coup avant de faire nul.

A 7-7 on joue les prolongations et pour la 5ème fois depuis l'instauration des prolongations en championnat du monde (en 2006), on y aura recours. Il est d'abord prévu une série de 4 parties en cadence 25 minutes plus 10 secondes par coup. En cas d'égalité, des parties blitz sont prévues. Mais jamais jusque-là, on n'a été au-delà de la première série rapide.

1ère prolongation.

Ding tire les Blancs. Il nous ressort encore un début rare, fruit de sa préparation. La position est compliquée mais Nepo tient le choc. Les deux joueurs s'offrent une passe d'armes tendue mais jouée correctement. A chaque coup on se dit que l'un ou l'autre prend le dessus. Et comme cela arrive souvent, le combat s'achève pacifiquement au 35è coup.

2ème prolongation.

Toujours une Espagnole avec Nepo. Le Russe tente un nouveau coup et semble sortir de l'ouverture avec un léger avantage. Ding ne semble pas à l'aise mais les Blancs se contentent d'échanges rapides vers le 25ème coup. Pourtant ce n'est pas fini. Comme dans la première partie, les deux joueurs s'échangent les coups tactiques d'attaque et de défense. Ils continuent même dans une position égale mais où il faut faire attention. Finalement, la nulle est signée au 47ème coup.

3ème prolongation.

Jusque-là, Ding n'a jamais joué deux fois la même variante avec les Blancs. Et ça continue dans ce match avec une de ses ouvertures favorites, la partie anglaise. Certes, il y a des échanges mais la position est technique et les Noirs doivent jouer précisément et patiemment pour égaliser. Nepo le fait, donne un pion pour garder les fous de couleur opposée et après l'échange des tours, il n'y a plus rien à espérer. La nulle est conclue au 33ème coup.

4ème prolongation.


Balle de titre pour Nepo qui a les Blancs. Celui qui gagne est champion du monde, sinon on va en blitz (5'+3") pour la première fois en championnat du monde. Et on retourne dans l'Espagnole. Nepo y va avec une idée curieuse : un fou en b1 bloqué par le pion c2,d3 puis un autre en b3. Le placement des pièces blanches n'a pas l'air terrible : Ding essaie d'en profiter en poussant au centre. Pourtant, Nepo commet encore une imprécision et le Chinois dispose d'un clair avantage, surtout qu'il est déterminé à jouer pour le gain. Mais il prend une décision douteuse (pousser e5-e4 au 29ème coup). Il réveille ce fou b1 emmuré et la partie se retourne. Après une série d'échanges, on se dit que la nulle sera conclue mais avec son 46ème coup (Tg6), Ding joue pour le gain en acceptant de clouer sa tour. Nepo se trompe aussitôt et le Chinois prend l'avantage. mais le zeitnot change tout : Ding rate une occasion puis Nepo rate la nulle. Un dernier effort du Russe ne suffit pas. Il s'aperçoit que la ligne qu'il avait calculée perd. Au 68è coup noir, il se résigne, serre la main de Ding qui remporte cette partie et le championnat du monde.

Ian Nepomniachtchi serre la main en signe d'abandon
au nouveau champion du monde d'échecs, Ding Liren.


Chose incroyable, Ding n'a jamais mené dans ce match mais la seule fois qu'il mène, c'est la bonne. A 30 ans, le Chinois devient le premier joueur de son pays à devenir champion du monde. C'est un miraculé : repêché aux candidats par la disqualification de Karjakin, il termine second et est repêché pour la finale à cause du retrait de Carlsen. Plusieurs fois au bord du KO (12è et 14è partie notamment), il arrache la victoire.

La Chine détient les titres mondiaux adultes masculin et féminin. En effet, le championnat du monde féminin opposera deux Chinoises au cours de l'été 2023.

Bravo à Ding qui aura montré sa persévérance, son courage et son sang-froid en parties rapides. Nepomniachtchi était mieux préparé mais il a encore montré ses fragilités humaines : trop nerveux, il a joué des coups rapidement à des moments cruciaux. Il entre dans la catégorie des joueurs ayant disputé deux championnats du monde sans en avoir gagné un seul : avec Mikhaïl Tchigorine (1889 et 1892), Efim Bogolioubov (1929 et 1934), Viktor Korthchnoi (1978 et 1981). Aura-t-il les moyens d'y retourner une troisième fois ?

Et Magnus Carlsen dans tout ça ? Reviendra-t-il dans le cycle mondial parce qu'il préfèrera affronter Ding en match que Nepo, qu'il a écrasé en 2021 ? Pas sûr et même pas sûr du tout.


Les parties du match

3 commentaires:

  1. Finalement un très beau CdM, même si je n'avais pas d'avis quant à ceci, après je ne suis pas assez fort pour juger du niveau, mais beaucoup de suspens et de parties non nulles.
    Néanmoins, cela ne remet pas en cause d'après moi, la manque de légitimité du champion quant au fait qu'il soit en ce moment le meilleur joueur du monde.

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    1. C'est Pierrot Of course je ne sais pas pourquoi je suis passé en anonyme lors de la publi (et de celle-ci).

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    2. Moi non plus. Je pense que tu es toujours connecté sur ton compte.

      Pour revenir au débat sur le champion du monde, Anand n'a pas toujours été numéro un mondial pendant son règne, Kramnik aussi. Le champion du monde n'est pas toujours le meilleur joueur du monde. Qui aurait dit que Petrossian était le meilleur entre 1963 et 1969 (surtout entre 1966 et 1969 où Spassky, Larsen, Fischer et Kortchnoi raflent les tournois ?)
      Botvinnik le reconnaissait lui-même, il n'était que le premier parmi ses égaux.

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