Autour du championnat du monde d'échecs

 A partir du 20 novembre, le championnat du monde d'échecs opposera Ding Liren (Chine) le champion sortant, à son challenger Gukesh Dommaraju (Inde). Déjà qu'une partie d'échecs oppose deux esprits, comme l'avait dit Emmanuel Lasker (champion du monde de 1894 à 1921) mais peut-être plus encore que d'habitude, c'est la psychologie qui pourrait bien décider de ce match. Et d'abord l'état d'esprit du champion du monde.

Présentation du match.

D'un côté Ding Liren (32 ans). Champion du monde en 2023, le Chinois n'est plus que l'ombre de lui-même depuis un moment. Un fait l'illustre : il n'a gagné que 3 parties longues depuis mai 2023, quand il est devenu champion du monde. Mais une de ses victoires était contre Gukesh, au Tata Steel 2024. Autre fait qui peut le rassurer : Ding avait déjà battu Gukesh au même tournoi à l'édition 2023. Mais Ding n'était que finaliste du championnat du monde et Gukesh n'était pas encore candidat au titre mondial. Aujourd'hui, Ding n'est que 23e joueur mondial, le pire classement pour un champion du monde en titre. D'ailleurs ses performances ont été d'un médiocre résultat qu'aucun de ses prédécesseurs en titre n'a jamais atteint : il n'a jamais dépassé les 50% de points dans ses tournois. Après le match , le Chinois pourrait abandonner la compétition sérieuse même s'il gagne. La pression du champion du monde semble trop grande pour ce joueur modeste, humble et pas vraiment détesté.

De l'autre Gukesh Dommaraju (18 ans). Plus jeune finaliste d'un championnat du monde, l'Indien a encore connu une année fantastique. En plus d'avoir remporté le tournoi des candidats, il a remporté l'or olympique avec l'Inde à Budapest.

Gukesh est favori au classement Elo et à la dynamique. Mais il doit affronter la pression d'un championnat du monde, que Ding a su relever malgré sa fragilité psychologique. Et puis un match, c'est une confrontation systématique entre deux joueurs : il faut s'adapter, montrer une grosse préparation pour révéler les failles adverses. Il faut aussi tenir, ce que Ding semble éprouver à faire ces derniers temps. Le Chinois a montré pourtant une formidable résilience lors de son match contre Nepomniachtchi. Mais cela paraît si loin ! Gukesh, lui, aura le soutien de tout un pays mais il sera seul devant l'échiquier. La cadence du match, plus longue que d'ordinaire, risque de favoriser Ding mais aussi de jouer contre lui. Risque-t-on d'avoir les mêmes scènes qu'au cours du match Ding-Nepo ? A savoir deux joueurs qui désertent l'échiquier pour réfléchir dans leur salle.

Le match aura lieu à Singapour. Ce n'est pas le premier championnat du monde à se jouer en Asie. En 2013, Magnus Carlsen avait détrôné Vishy Anand sur ses terres à Chennai. Et puis en 1978, Karpov et Kortchnoi s'étaient affrontés dans un match surréaliste.

Pour moi Gukesh est favori. Mais si le match arrive en prolongation, au bout des 14 parties longues, alors je privilégie Ding, plus fort en cadences rapides.

Des faits, des statistiques.

Aura-t-on un 18e champion du monde ou bien toujours le 17e ?

Voici quelques faits notables autour des championnats du monde :

- Seuls 4 joueurs n'ont jamais perdu un match de championnat du monde. Outre Magnus Carlsen, Bobby Fischer, Carl Schlechter et David Bronstein (les deux sur match nul) n'ont pas perdu un match. Mais Fischer et Carlsen ont gagné. Ils sont plus nombreux à n'avoir jamais gagné un match.

- Qui n'a jamais perdu de parties en championnat du monde ? Ben personne ! Sauf 1 si on ne compte que les parties longues : Fabiano Caruana. A l'inverse, Frank Marshall, David Janowski et Fabiano Caruana (avec ou sans les parties rapides) n'ont jamais gagné une partie de championnat du monde.

- Et le scénario ? Ding Liren est le seul champion du monde à remporter un match sans avoir jamais mené au score avant la partie victorieuse. D'autres ont passé leur temps à être menés avant d'avoir retourner la situation. En 1892, Steinitz a été longtemps mené par Tchigorine avant d'arracher la prolongation par une victoire à la 20e et dernière partie et à gagner ensuite. Max Euwe a compté 3 points d'avance contre Alexandre Alekhine en 1935 après 8 parties mais il a gagné. En 1886, Steinitz a été mené 4-1 mais il a gagné 10 à 5 en 20 parties, contre Zukertort.

- Gukesh n'a pas encore battu Ding en parties longues je l'ai écrit. Mais cela n'empêche pas de devenir champion du monde : ainsi Capablanca, Alekhine et  Fischer

- Depuis 2006 et l'instauration de la prolongation en cas d'égalité après les parties longues, la moitié des matchs s'est décidée en prolongation : Kramnik-Topalov, Anand-Gelfand, Carlsen-Kariakin, Carlsen-Caruana, Ding-Nepomniachtchi.

- Emmanuel Lasker et Garri Kasparov détiennent le record du nombre de matchs (titres) gagnés avec 6 même avec un match nul pour les deux  ce qui fait 5 victoires et 1 match nul. Si on compte les seuls matchs gagnés, ils sont rejoints par Magnus Carlsen (qui a gagné deux fois en prolongation)

- A quel âge devient-on champion du monde ? A fil du temps, on l'est plus jeune et c'est normal : on devient grand-maître à 14 ans. La trentaine est la décennie où on gagne le plus souvent le titre  en tout cas pour la première victoire (Capablanca 33, Alekhine 35, Euwe 34, Botvinnik 37, Smyslov 36, Petrossian 34, Spassky 32, Anand 38, Ding 31). Les vingtenaires sont aussi présents (Lasker 25, Tal 23, Fischer 29, Karpov 24, Kasparov 22, Kramnik 25, Carlsen 23). Quelles exceptions ?  Steinitz a remporté le premier championnat du monde à 50 ans. S'il gagne, Gukesh sera le plus jeune champion du monde de l'histoire.

- Le match Ding-Gukesh est le premier de l'histoire où ni un Européen, ni un Américain n'y participe. D'ailleurs Singapour est une bien belle destination, puisque située entre l'Inde et la Chine.

- Si Emmanuel Lasker détiendra pour une éternité le record de détention (presque 27 ans), Alexandre Alekhine détient le record de victoires dans un match de championnat du monde (11 victoires en 25 parties contre Efim Bogolioubov en 1929)

- Emmanuel Lasker n'avait pas défendu son titre pendant 10 ans mais ses challengers n'avaient pas le soutien financier. Pour autant sa supériorité était énorme : ses 4 victoires l'ont été sur des scores écrasants : 10-4 et 10-2 contre Steinitz, 8-0 contre Marshall, 8-3 contre Tarrasch. Autant dire qu'on n'aura pas ces scores dans le prochain match puisque le premier à 7,5 points (en parties longues) devient champion du monde.