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1.1.25

Championnats du monde rapide et blitz 2024. Jeangate ou Magnusgate ?

 Du 26 au 31 décembre, New York accueillait les championnats du monde rapide et blitz. Depuis plusieurs années, cet événement est devenu le moment phare des échecs et rattrape même le championnat du monde classique (s'il ne le dépasse pas) en terme d'importance. Et cette année, le spectacle n'a pas manqué, les scandales non plus.

Parlons résultats.

Oui commençons par ce qui était censé être important. Le rapide mixte a été l'occasion du triomphe de la Russie : le jeune espoir Volodar Murzin (18 ans) créé la sensation en l'emportant. L'an passé, il avait déjà bien fait mais en 2024, le Russe avait confirmé ses aptitudes dans les cadences rapides. Il devance deux autres Russes : Alexandre Grischuk (qu'on ne voit plus beaucoup en Occident) et Ian Nepomniachtchi, qui sortait d'une finale au Champion Chess Tour (tournoi de parties rapides en ligne dont la finale était en "présentiel" gagné comme toujours par Magnus Carlsen). Ce triplé russe rappelle que si la Russie recule dans la hiérarchie mondiale, si elle manque de relève (Murzin est 69e mondial), elle demeure une très grande nation échiquéenne.

Chez les femmes, l'Indienne Humpy Koneru remporte le titre devant la championne du monde classique, la Chinoise Ju Wenjun et la Russe Katerina Lagno (compagne de Grischuk).

Passons au blitz... en blitzant dans le mixte car on va y revenir. Médaillée d'argent en rapide, Ju Wenjun remporte le blitz , en prolongation, en battant en finale Lei Tinglie (vice-championne du monde en classique en 2023, battue par Ju). Katerina Lagno termine encore 3e.

La formule du tournoi de blitz avait été remodelé pour l'occasion et c'était une bonne idée : au lieu d'un tournoi open sur deux jours, l'open ne durait qu'un jour (13 rondes quand même) et qualifiait 8 joueurs, qui s'affrontaient en matchs à élimination directe. 

Les Français ?

 

Euh... si quand même ! Alireza Firouzja a été dans la course : 7e en rapide, quart de finaliste en blitz, battu par un Wesley So. A ce propos l'Américain s'est permis d'un mouvement illégal (jouer avec ses deux mains, soit prendre une pièce avec l'une et poser sa pièce avec l'autre) sans que l'arbitre ne broche. Le ralenti est flagrant mais on est déjà dans la polémique. Le problème c'est que Firouzja a perdu au temps et s'il avait eu la minute de plus d'accordée (selon le règlement mais à un tel niveau, on pourrait donner partie perdu au fautif), il n'aurait possiblement pas perdu et n'aurait pas été éliminé. Au passage, So a fini troisième mais on s'en fiche royalement.

Quant à Maxime Vachier-Lagrave, ces mondiaux n'ont pas été une réussite : loin dans les deux épreuves, surtout en blitz dont MVL est un expert (champion du monde 2021 rappelons-le).

Nos autres Français et Françaises (Laurent Fressinet, Sébastien Mazé pour les hommes, Pauline Guichard et Almira Skripchenko chez les femmes) n'ont joué aucun rôle.

Enfin pour la star du streaming et auto-proclamée meilleur joueur de blitz du monde, l'Américain Hikaru Nakamura, les tournois ont été ratés tout simplement.

Moment tragique, qui montre la violence du jeu d'échecs : la légende Vassili Ivanchuk perd au temps contre l'Américain Daniel Naroditsky. Le choc est violent pour les deux et la tragédie émouvante pour Ivanchuk qui s'effondre.



 Du Jeangate au Magnusgate.

Tenant du titre dans les deux formats (12 titres mondiaux cumulés), Magnus Carlsen est le grand favori. Mais en rapide, la première journée ne s'est pas bien passée. Le lendemain, le voilà que l'arbitre le rappelle à l'ordre pour sa tenue incorrecte (il porte un jean au lieu d'un pantalon, alors que le reste est totalement acceptable) ; puis il écope d'une amende (comme Ian Nepomniachtchi mais à cause de ses baskets cette fois) et enfin n'est plus appareillé. Furieux, le numéro un mondial se fend d'une déclaration contre la FIDE, accompagnée d'un mot poli.

On peut penser -moi compris- que Carlsen fait éclater les tensions qui existent avec la FIDE : concurrence des tournois qu'il arrive à organiser par son nom (le Free Chess Tour, série de tournois où les positions de départ sont tirées au sort, le Champion Chess Tour qu'il gagne chaque année) , critique des cadences de jeu qui l'ont conduit à ne plus concourir pour le titre mondial classique, etc.

Magnus Carlsen avait d'ailleurs décidé de ne pas participer au tournoi de blitz. Sauf qu'il a discuté avec son père, avec Vishy Anand (ancien champion du monde et vice-président de la FIDE), Arkady Dvorkovitch (président de la FIDE mais qui n'était pas à New York). Et il revient sur sa décision. Courageuse, la FIDE a décidé d'assouplir le règlement vestimentaire en tolérant les jeans.

Entre l'absurdité et la honte.


Oui, Carlsen a raison sur la question de la tenue ; le règlement est dépassé, on peut l'ajuster. Oui, il a raison parce qu'on lui a donné raison même si sur la forme, c'est plus que contestable. Mais Carlsen n'a jamais eu peur de ne pas mettre les formes si ça ne défend pas ses intérêts.

La FIDE reconnaît une chose : Carlsen est plus fort qu'elle car elle a cédé. Alors, on pourra dire à juste titre qu'elle reconnaît ses erreurs. Mais on ajoutera que jamais auparavant, Carlsen ne s'est indigné du fameux "dress code" tant qu'il n'était pas victime. Nepo a pris aussi son amende dans le tournoi. L'an passé, une joueuses avait été sanctionnée pour des snickers.

Et passons au tournoi de blitz.

Il y avait de quoi s'amuser en terme de tension et de polémique. D'abord le quart de finale entre Carlsen et Hans Niemann. L'Américain, si vous vous souvenez, avait été accusé il y a deux ans d'avoir triché lors d'une partie gagnée contre Carlsen. Ce dernier s'était retiré sans avoir apporté la moindre preuve de ses allégations durant la partie. La commission d'éthique n'a pas jugé opportune de sanctionner Carlsen pour diffamation.

En plus, Niemann a dû sa qualification à une victoire par forfait contre le Russe Daniil Dubov ; ce dernier se serait "endormi entre deux rondes". Dubov accuse Niemann de tricherie et a travaillé avec Carlsen.

Bon Carlsen l'emporte 2,5-1,5 avec le point tapé sur l'échiquier pour conclure. C'est bon ça !

En finale, nous avons Carlsen contre Nepomniachtchi, qui avait terminé en tête de l'open. C'est aussi la revanche de la finale du Champion Chess Tour que Magnus avait facilement gagné 10 jours plus tôt.

La finale est en 4 parties : Magnus gagne les deux premières mais Nepo égalise à 2-2. Puis le score est de 3,5-3,5. Et voilà que Carlsen propose à Nepo de ne pas jouer cette partie et de se partager le titre de champion du monde.

Pire encore (MAJ à 11h46) : une vidéo vient d'être publié sur les réseaux sociaux où Carlsen dit à Nepo qu'il suffit de faire des nulles rapides à l'infini pour les faire craquer. Nepo accepte et ... la FIDE aussi au mépris de son règlement. Ben voilà. D'ailleurs, Carlsen dans sa déclaration montre qu'il n'a rien à faire de ce qu'on pense de ça, une fois de plus et il a, en fin de compte, raison puisqu'on ne lui donne pas tort. Et pourtant, les réactions n'ont pas manqué pour dénoncer cet état de fait, s'en prenant plus à Carlsen et à la FIDE, qui a validé ce geste. C'est ridicule, on le sait tous.

Ainsi, on arrête le film avant d'en connaître la fin. Cela me rappelle le dénouement du premier match Karpov-Kasparov de 1984-1985, qui s'est produit il y a 40 ans (à 6 semaines près).

Si la FIDE voulait montrer le peu de crédit qu'elle a, elle aurait disqualifié les deux finalistes et pas attribué le titre mondial (et pas les prix qui vont avec au final). Ca s'est déjà fait ailleurs.

Qu'en conclure ?

Pour résumer le championnat du monde rapide et blitz, on a plus parler des histoires de Carlsen que de la compétition, qui méritait pourtant d'être valorisée. Le jeu rapide et blitz est le seul qui attirera des sponsors, permettra aux professionnels du jeu de vivre et donnera de la visibilité au jeu d'échecs.

Mais on conclura aussi autre chose :

- Magnus Carlsen est le meilleur joueur du siècle mais aussi le vrai patron des échecs.

- Peu crédible sur de nombreux points, la FIDE a encore perdu des points.

- Le rapport entre Carlsen et la FIDE est d'abord une affaire de gros sous. La FIDE a ses sponsors, mais moins nombreux depuis que les entreprises russes sont sanctionnées. Carlsen a, lui, d'autres soutiens qui financent ses compétitions avec des millions de dollars à la clé.

- A l'instar de ce qu'étaient Bobby Fischer et Garri Kasparov -à d'autres époques, pour d'autres raisons et dans d'autres circonstances-, Carlsen est en conflit avec la FIDE (et notamment son directeur général). Il pourrait, avec les appuis qu'il a, initier un mouvement qui créerait une grande association des joueurs comme le sont l'ATP, la WTA au tennis, ou la PGA au golf. Kasparov était à l'origine de la GMA en 1986, qui avait organisé de belles compétitions, avant qu'il ne la saborde 3 ans plus tard/

- Mais tous ne sont mués que par leur propre intérêt. Jamais Fischer ne s'est indigné des conditions qu'il imposait aux autres joueurs, ou des protestations similaires aux siennes mais qui ne venaient pas de sa part. Kasparov, lui, est allé d'un vent à un autre, allant à la rupture avec la FIDE.

- Cela montre une nouvelle fois l'état catastrophique du monde des échecs. Incapable d'avoir exploité le filon des séries audiovisuelles, ni d'avoir exploité au mieux le jeu en ligne après le confinement. Incapable de se vendre. Des joueurs trop individualistes pour s'organiser en association et dont la tête d'affiche ne cherche pas à créer une organisation qui structurerait enfin le monde des échecs professionnels, et les grandes compétitions en particulier. Carlsen n'en a rien à faire des autres, alors qu'il pense au public. C'est un joueur extraordinaire dont on pardonnera sur-le-champ les attitudes. Après tout, il a le niveau, le charisme et personne en face pour lui contester cela.

Bonne année à tous !

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